Dans le cadre de notre rencontre débat sur l'eau (le vendredi 24 mars, à 20 heures à l'Atrium), voici une contribution de Olga Odinetz, qui travaille actuellement pour l’institut de recherche-développement et la faculté de médecine de Paris V ; Olga a mené différentes missions internationales ayant pour objet de contribuer au développement et à la communication de politiques de développement durable.
La plupart des problématiques liées à la gestion durable et à la protection de l’eau découlent de la disparité entre la disponibilité des ressources hydriques et les demandes liées aux processus de développement.
Globalement, la consommation d’eau douce sur notre planète provient à 70% des activités liées à l’agriculture, 20 % de l’industrie, et 10% de l’utilisation résidentielle. La dépendance des industries par rapport à l’eau est devenue très faible, grâce aux techniques de recyclage imposées par les législations actuelles sur la qualité de l’environnement, mais les activités agricoles continuent à dépendre étroitement de la disponibilité des ressources en eau douce et, en retour, exercent sur elles une externalité rarement comptabilisée, par l’impact des produits agrochimiques sur l’environnement et la santé. Sachant qu’il faut en moyenne 1000 tonnes d’eau pour produire une tonne de céréales, et que 40% de la production mondiale de céréales provient de terres irriguées, on comprend que le marché des produits agroindustriels est indissociable de celui de l’eau, avec néanmoins une différence majeure : si le prix des cultures de rente peut être contrôlé par des variations de l’offre et de la demande au niveau de la production, il n’en sera pas de même à épuisement des aquifères ou lors du détournement de l’eau de l’agriculture au profit de l’approvisionnement des zones urbaines.
L’accès aux ressources hydriques est donc fondamental pour la définition des politiques agraires. Pour certains pays, comme le Brésil, où le secteur énergétique est dépendant à 80% de l’hydroélectricité, le contrôle de l’eau douce est également une question de sécurité d’état. Dans le contexte actuel d’ouverture mondiale des marchés, l’abondance des ressources naturelles est un avantage comparatif au même titre que la main d’oeuvre à bas prix. L’eau est ainsi une ressource stratégique essentielle sur le marché mondial. Le contrôle de son usage et de sa gestion sont en passe de devenir l’enjeu essentiel de ce siècle, si l’on admet la projection démographique de la FAO qui prévoit 8 milliards d’habitants sur notre planète en 2030 - dont plus des deux tiers résideraient en milieu urbain - et une demande alimentaire globale conséquente en augmentation de 60 %. Dans les régions tropicales de tradition agricole avec une main d’œuvre à bon marché, l’accès à l’eau pour une agriculture irriguée destinée à l’exportation, basée sur l’innovation technologique et de forts intrants en capitaux, va jouer un rôle fondamental dans l’émergence de nouveaux pouvoirs et redéfinir les dynamiques territoriales.
Appliqué depuis une dizaine d’années dans différents domaines, y compris dans celui de l’utilisation des ressources naturelles, les concepts de gestion participative et de gouvernance posent le postulat de l’exercice de la citoyenneté par les consommateurs. On peut néanmoins parfois s’interroger si le discours consensuel sur la décentralisation et la participation populaire n’est pas en partie soumis aux objectifs prioritaires d’une mondialisation politique et économique, engagée dans un processus de normalisation des espaces nationaux.
La bonne gouvernance sous-entend non seulement une participation de toutes les parties prenantes à la table des négociations, mais un réel partage juste et équitable du pouvoir décisionnel. Au niveau international, un grand fossé sépare à l’heure actuelle la capacité de négociation des pays industrialisés de celle des pays émergents ou en voie de développement, alors que ces derniers détiennent souvent, en matière d’environnement et de ressources, des atouts majeurs qui devrait leur conférer un pouvoir de pression politique beaucoup plus important. Des déséquilibres similaires peuvent se retrouver à l’intérieur d’un même espace national, avec des inégalités d’autant plus fortes que l’État est économiquement et politiquement vulnérable.
Prisonniers de leurs dettes, affaiblis par des privatisations successives, imposées par les programmes de réajustements structurels des bailleurs de fonds internationaux, délégitimés de son rôle de tiers modérateur face à un principe de démocratie participative posé en modèle universel, les états les moins riches n’interviennent plus comme avant dans le processus régulateur de l’aménagement territorial.
L’usage de l’eau agricole concerne un nombre important d’acteurs très différents, qui sont aussi bien des états, que des entreprises multinationales, des coopératives agricoles, des syndicats et des cultivateurs. De même, les territoires agricoles ne se limitent plus aux terres cultivées : ils commencent là où les usines agrochimiques produisent les fertilisants et les pesticides, et s’étendent jusqu’à la table des consommateurs des produits agroalimentaires transformés.
C’est dans les régions tropicales semi-arides, qui restent pour la plupart les grands exclus du développement, que le problème de la mise en place d’une gestion intégrée, participative et décentralisée des ressources hydriques se pose avec le plus d’acuité. Face à une population pauvre essentiellement rurale, largement vulnérable à la sécheresse, enfermée dans des systèmes de dépendances économique et politique historiquement installées par rapport aux pouvoirs locaux, les groupes agroindustriels se voient proposer avant tout des coûts d’opportunités avantageux qui leur permettent d’optimiser des profits économiques à court terme sur des cultures irriguées destinées à l’exportation, en externalisant le coût des impacts négatifs sur l’environnement et la santé, d’un usage souvent excessif et mal contrôlé d’engrais et de pesticides.
La pertinence du concept de la bonne gouvernance dans le domaine de l’eau fait l’unanimité de l’ensemble des parties prenantes, mais l’analyse des configurations nord-sud des réseaux agroalimentaires mène néanmoins à s’interroger sur l’applicabilité de ce modèle dans le cadre juridique actuel, qui n’arrive toujours pas déterminer la responsabilité sociale des entreprises agroindustrielles transnationales en matière de droit à l’environnement et à la santé. Et n’est-il illusoire, utopique ou trompeur de discourir sur une gouvernance juste et équitable quand la notion même de citoyenneté se décline différemment selon les groupes sociaux, culturels et économiques ?
Le discours normatif actuel sur la " bonne gouvernance " des ressources naturelles, dans le cadre duquel s’est mise en place la politique de l’eau soutenue par la Banque Mondiale depuis un vingtaine d’années, s’inscrit ainsi dans une dynamique de développement économique résolument libéral, marquée par des politiques de réajustements structurels, l’ouverture des marchés, la déréglementation et la privatisation des entreprises publiques. Cependant l’eau douce est indispensable à la survie de tout être vivant : c’est donc un droit de l’homme avant d’être un objet marchand, et de ce fait, elle ne peut pas être considérée comme un bien public privé. Bien public national, elle appartient également à la catégorie des biens publics mondiaux de par la caractéristique transfrontière de son cycle et l’universalité de son rôle dans le maintien de toutes les formes de vie sur notre planète.
Olga Odinetz
Bonjour,
J'interviens brièvement sur ce blog où je suis un étranger !
J'ai lu ce très interessant article sur l'eau, qui rejoint et conforte nos propres préoccupations sur ce sujet.
Hier, 11 mars, notre Association fêtait ses dix ans d'existence avec un thème.
directeur : "la citoyenneté participative a-t-elle un avenir politique ?" et la participation de Danielle Mitterrand (France Libertés) et Jean-Luc Touly (Association pour le contrat mondial de l'eau)qui nous ont présenté le projet mlondial des "Porteurs d'eau" auquel notre asso a adhéré.
Pour plus de détails sur ce sujet vous pouvez interroger le site de France Liberté.
Environ 250 personnes ont participé à cet évènement.
J'ai fait part à notre Président de l'intérêt que votre Association portait au problème de l'eau.
Bonne route aquatique !
Rédigé par : MASSUARD Guy (Action citoyenne YVETOT) 76 | 12 mars 2006 à 17:01
Merci pour cette note de fond et ses arguments éclairés qui nous rappellent (une fois de plus) que la gestion des ressources naturelles dont nous disposons ne se cantonnent ni aux frontières de chacun, ni à la "sacro-sainte réalité économique".
J'ai envie (naïvement) de dire, que la logique purement libérale ne doit pas être l'unique conducteur de nos sociétés... Si l'on souhaite préserver les plus pauvres d'entre nous, entretenir le patrimoine des enfants de demain,..., mais aussi, si l'on ne veut pas "aller dans le mur" à moyen/court terme.
Rédigé par : guy berthelot | 11 mars 2006 à 12:10